Aujourd’hui, j’ai décidé de partager avec vous une petite histoire que j’ai écrite, il y a déjà quelques temps. C’est une sorte de fable sans prétention. Vous reconnaîtrez peut-être des personnes de votre entourage parmi ces grenouilles et ces crapauds.
C’est l’histoire d’une grenouille. Une grenouille ambitieuse. Comme celle de La Fontaine. Vous connaissez la fable de La Fontaine ? La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf ? Comme son nom l’indique, c’est l’histoire d’une grenouille qui, un jour, voit un boeuf. Dès lors, elle n’a plus qu’une idée en tête : lui ressembler et devenir aussi grosse que lui. Sauf que, vous avez déjà vu une grenouille de la taille d’un boeuf, vous ? Moi non plus. Bien entendu, la grenouille n’y parvint pas et y laissa sa vie. Notre monde grouille de grenouilles comme celle-là. Vous en avez sûrement rencontrées vous aussi.
C’était une petite grenouille brune. Elle avait bien mené sa barque et fondé sa propre société, au nom clinquant. Toujours bien apprêtée, souriante, elle avait l’air très professionnelle et inspirait plutôt confiance. Beaucoup s’y sont laissé prendre. Quelle erreur ! Sous ce maquillage parfait se cachait une véritable peste au venin redoutable.
Une petite rainette blonde, débutante et un peu naïve, avait besoin de conseils pour l’activité qu’elle avait entrepris de créer. Une rainette plus expérimentée la lui avait recommandée. Confiante, elle fit naturellement appel à ses services. Tout se passa bien pendant quelque temps. Elles fréquentaient la même mare, avec plein d’autres grenouilles, rainettes et crapauds. Cette mare était nouvelle et unique dans la région. Les Batraciens venaient de loin profiter de ses bienfaits : un lieu calme et accueillant qui prônait, cruelle illusion, la bienveillance et la solidarité. Elle devenait de plus en plus peuplée. Les deux crapauds qui en étaient à l’origine n’avaient pas trop réfléchi à son organisation, préférant déléguer cette tâche à la grenouille la plus ancienne, qui était de la famille. Celle-ci, trop contente de cette attribution, s’accapara rapidement les prises de décisions. Elle abusait de sa position et estimait n’avoir aucun compte à rendre. La mare se transformait peu à peu en jungle. L’ambition et la jalousie pointaient. Des tensions apparurent. Les crapauds restaient endormis. Ce n’étaient que des histoires de grenouilles et de rainettes, il ne fallait pas s’en mêler !
Jusqu’au jour où, la grenouille qui se prenait pour la cheftaine du fait de son ancienneté et de ses liens particuliers avec l’un des crapauds, trouva bon de convoquer la rainette plus expérimentée. La rainette, croyant la grenouille intéressée par son nouveau projet dont un journal local s’était fait l’écho, s’attendait à un tête à tête amical. Mais ce fut un véritable procès, où la grenouille, assistée de sa consoeur, la grenouille ambitieuse, se transforma en juge implacable et accusa la rainette de trahison. Les crapauds commencèrent à se réveiller mais, au vu des enjeux (la mare appartenait à deux crapauds qui n’étaient pas d’accord entre eux, l’un étant uni à la grenouille la plus ancienne), il ne leur était pas possible d’agir sans réfléchir. Réfléchir, cela demande du temps, temps qui continua donc à s’écouler… La plupart des grenouilles n’étaient pas conscientes de ce qu’il se passait. L’atmosphère devenait parfois électrique, mais rien de très tangible ni très grave à leurs yeux. Cependant, pour les rainettes, la mare devenait de plus en plus invivable. Les attaques continuaient et s’intensifiaient. Une véritable mafia s’installait… La grenouille ambitieuse manipulait, espionnait et complotait avec l’autre grenouille. Elles enchaînaient les réunions privées et les messes basses.
Un jour, le crapaud lié à la grenouille la plus ancienne, voulut imposer un nouveau règlement, liberticide. Les membres de la mare n’auraient plus de droits. Il leur faudrait demander l’autorisation des « chefs » de la mare avant de prendre la moindre initiative, sous peine d’être expulsé manu militari. Les deux grenouilles n’avaient pas apprécié que la rainette blonde fasse usage de sa liberté d’expression… Ce fut trop pour les deux rainettes qui décidèrent de quitter la mare. Elles pensaient ainsi retrouver leur liberté : les deux grenouilles leur ficheraient la paix dorénavant. Pensez-vous ! Notre grenouille ambitieuse avait encore envie de jouer. C’était tellement plus amusant pour elle d’essayer d’empêcher les rainettes de développer leur activité que de s’occuper de la sienne. Elle avait déjà laissé un contrat lui échapper mais cela ne l’inquiétait pas. Elle était tellement sûre d’elle, elle ne manquerait pas d’autres clients !
Excédées, les rainettes sortirent leurs griffes : leur patience avait atteint ses limites. La grenouille fut mise devant ses contradictions et son manque absolu de professionnalisme. Les rainettes rompirent définitivement tout contact avec cette grenouille toxique. Elles s’étaient trouvé un beau et grand nénuphar, bien situé et profitaient de la lumière du soleil tout au long de la journée. L’une retrouva sa sérénité et mit au monde un beau têtard tandis que l’autre commença à s’épanouir et déploya ses ailes. Quant à notre grenouille ambitieuse, comme pour celle de La Fontaine, cela se finit mal. Le départ des rainettes avait eu des conséquences sur le quotidien de la mare, certaines grenouilles se posèrent des questions, l’ambiance avait bien changé. La mare n’était plus aussi attractive, des rumeurs se propageaient… La grenouille ambitieuse voulut régner seule sur la mare mais pour l’autre grenouille il n’était pas question de partager et encore moins d’être dominée. Les crapauds, enfin réveillés, passèrent à l’action et remirent de l’ordre. Les deux grenouilles furent déchues de leurs fonctions, mal acquises, et virent leur puissance s’effondrer. Un nouveau fonctionnement fut établi dans la mare afin de préserver sa quiétude. Notre grenouille ambitieuse perdit ainsi toute emprise, à son grand désespoir. Nombre de ses clients étaient partis, d’autres ne signèrent jamais le contrat proposé. Elle quitta la mare, tête basse… Sa réputation s’était ternie, elle suscitait la méfiance à présent. Tant et si bien qu’elle n’eût plus aucun client et dû se résoudre à redevenir une simple employée parmi d’autres. Quelle ironie pour cette grenouille avide de pouvoir que d’être obligée d’obéir aux ordres d’un chef sans états d’âme !
Méfiez-vous des grenouilles que vous croisez, parfois, en grattant le vernis, on a quelques surprises !
Dites-moi si vous avez aimé, si vous aussi, vous avez croisé l’une de ces grenouilles insupportables qui se mêle de votre vie et de votre travail.
